Etre âgée de 14 ans et décider de gravir une grande montagne...
Le projet a fait son chemin depuis que Yuin a accepté de partir dans le Nord de l’Inde afin de tenter l’ascension d’une grande montagne. Rien d’obligatoire, aucune pression psychologique pour y arriver, uniquement un cheminement progressif en altitude en empruntant la route de New Delhi à Leh, une petite ville située dans les contreforts de l’Himalaya. Rien n’est vraiment organisé à l’avance : nous disposons de 3 semaines pour tout faire en autonomie totale. Une seule nécessité : s’adapter très progressivement à l’altitude. Yuin n’a jamais fait de sommet très élevé et il faudra observer son comportement avec vigilance. Le premier défi consiste à fuir le plus rapidement possible la pollution de Delhi pour se rendre à Manali par la route. Manali est une petite bourgade de montagne très agréable située à 2000 m d’altitude. Après 2 jours de petites escapades sur les montagnes environnantes, nous quittons Manali avec un bus tout-terrain en direction du du village de Keylong via le col de Rohtang à presque 4000 m.
Nuit à Keylong à 3000 m et poursuite de l'adaptation à l'altitude. Le lendemain sera une étape longue et difficile qui nous conduira à Leh après avoir franchi le col de Tanglang La à 5328 m, une des routes carrossables les plus hautes du monde. Chaque variation d’altitude joue en faveur de notre adaptation à la haute-montagne. Leh est une petite ville agréable surmontée de nombreux monastères qu’il est intéressant de visiter. Notre préparation se poursuivra par une virée motorisée sur route du Khardung La suivie d’un petit trekking à plus de 5000 m dans la neige. Deux jours plus tard, nous nous retrouvons sur la route du village de Stok (3600 m), point de départ de notre ascension du Stok Kangri. Yuin porte un petit sac à dos de montagne avec des vêtements chauds, un peu de nourriture et une frontale, je me chargerai du reste. Dès le premier jour de marche, nous atteindrons le camp de base (4960 m) en fin d’après-midi et nous installerons la tente. Tout se passe comme prévu et nous ne sommes pas arrêtés à Mankarmé situé plus bas car Yuin était en plein forme. Le plan d’ascension est modifié pour le lendemain afin de ne pas cumuler 2 jours très longs. Ainsi, le lendemain nous ferons un camp avancé vers 5200 m où nous serons les seuls à poser notre tente dans la neige. Nuit sans problème et départ à 2h du matin après un petit déjeuner un peu forcé…quelques minutes, à la lueur des frontales, je passe à travers la neige molle qui cache une rivière et me voilà trempé jusqu’aux genoux… Yuin continue seule dans la nuit tandis que je frictionne vigoureusement le bout de mes pieds. Tout est détrempé et je transforme mon bonnet et mon écharpe en chaussettes de fortune !!! La lueur de la frontale de Yuin est deja loin et je dois me hâter de la rejoindre.
Le glacier est peu crevassé et le jour commence à se lever au moment où nous atteignons la dernière partie de l'ascension un peu plus technique. Petit arrêt pour s'hydrater et apporter un peu d'énergie et Yuin est prête à repartir pour la dernière partie où la progression s'effectue de part et d'autre de l'arête sommitale.
La dernière partie de l'ascension est exécutée lentement et nous parvenons au sommet (6153 m) avec d’autres alpinistes au petit matin. Il fait froid mais il fait beau et nous profitons largement de ce moment de contemplation. Yuin est félicitée par tous les grimpeurs et l’émotion restera intense… Etonnement, à la question posée de savoir si Yuin souhaitait manger au restaurant à Leh le soir même, la réponse a été : ben…oui. Arrivée à Stok à 20h30 après 18h30 de marche et resto le soir vers 22h !!!. Mission accomplie.
Ski dans les Zagros / Iran / 2019
En avril 2019, retour en Iran à skis dans les Monts du Zagros. Il s’agit d’un massif peu parcouru qui présente de nombreux sommets dont certains atteignent 4000 m. Malheureusement, le vent (rafales à plus de 120 km/h) et la quantité de neige tombée en altitude m’incitera à effectuer des parcours en fond de vallée à partir du village de Chelgerd afin d'atteindre des sommets culminant vers 3000m d'altitude. Comme lors du premier voyage, la gentillesse de la population, la facilité à se déplacer en bus et la beauté du massif m’incitent à revenir sur place dès que possible.
Un objectif : faire l’ascension d’un 8000
Plaisir, émerveillement et liberté : une quête. Passionné par l’exploration et les expéditions en environnements extrêmes, j’ai commencé par explorer les grottes et les gouffres puis les cratères des volcans actifs de notre planète pour gravir enfin les plus hautes cimes de chaque continent. Après avoir effectué quelques ascensions de sommets de plus de 7000 mètres, l’Himalaya a fini par m’aspiré. Je me sentais prêt à monter vers 8000 mètres d’altitude avec cette irrésistible motivation qui vous porte. J’ai jeté mon dévolu sur un sommet réputé facile, le Cho Oyu, qui culmine à 8201 mètres. C’était aussi la concrétisation d’un rêve de jeunesse où je m’imaginais déjà au sommet de la « déesse de turquoise ». Je voulais enfin réaliser l’ascension en quasi-totale autonomie, sans sherpa et sans oxygène, sans toutefois dénier utiliser les cordes fixes. Une agence locale a été la meilleure option pour obtenir un service minimal qui incluait l’autorisation d’accès au sommet, les frais administratifs, le transport et la nourriture jusqu’au camp de base à partir de Katmandu. Au-delà du camp de base avancé, rien n’était prévu. J’ai effectué l’ascension au printemps et atteint le sommet le 13 mai 2018.
Quel entraînement ?
Je n’ai pas suivi d’entraînement spécifique à l’hypoxie, j’ai pratiqué la course en montagne autour de chez moi et le vélo assez régulièrement afin de développer ma capacité à réaliser des efforts longs. Le parcours de course en montagne permet aussi de faire varier l’intensité de l’exercice et favoriser ainsi mon adaptation à l’effort en altitude. En revanche, je n’ai pas cessé de courir pendant l’approche du camp de base. Pendant une dizaine de jours, j’ai couru quotidiennement en partant des différents villages qui jalonnent l’itinéraire. La durée de la course ne dépassait jamais deux heures à raison de 500-700 mètres de dénivelé positif. J’ai ainsi poursuivi cet entraînement jusqu’au camp de base avancé (CBA) situé à 5600 mètres d’altitude. Le ressenti physique était bon et je ne me suis jamais senti fatigué. Ceci avait aussi pour effet de me donner de l’appétit et de mettre de bonne humeur en dépit d’une météo capricieuse.
Savoir attendre…
Savoir attendre est un art pendant l'expédition. Ne pas perdre patience, discuter de la fenêtre météo, est une occupation de tous les instants. Un autre sujet de prédilection est celui du choix du protocole de montée. J’ai attendu jusqu’à une dizaine de jours au CBA sans pouvoir faire grand-chose. Heureusement, les repas rythment la journée et permettent de partager des moments avec les autres grimpeurs. Parmi eux, il y avait Domi Trastoy, un alpiniste d’Andorre, qui avait déjà plusieurs 8000 à son actif et avec qui j’ai partagé mes mes calculs, mes doutes et mes joies. Nous avons scruté la montagne tous les jours et à tout moment. Nous avons tricoté et détricoté le protocole d’ascension jour par jour même si chacun devait monter en autonomie et à son rythme. Mon ami m’a finalement convaincu de modifier mon ascension sur la montagne afin de privilégier les retours au CBA. Initialement, j’avais prévu de toujours monter plus haut sans jamais redescendre au camp de base, technique que j’avais expérimentée avec succès sur d’autres sommets de plus de 7000 m. J’ai rapidement saisi l’intérêt ici de redescendre le plus souvent possible pour profiter de la nourriture du camp de base est essentielle pour constituer de bonnes réserves énergétiques.
En réalité, je n’avais pas vraiment le choix car, seul et sans sherpa, il fallait transporter la totalité du matériel en plusieurs voyages, redescendre jusqu’au CBA, une ou plusieurs fois. Nous avons aussi décidé de monter directement au camp 2 (C2) avant l’assaut final, c’est à dire effectuer 1600 mètres de dénivelé le premier jour et 1000 mètres pour l’assaut final. Le cumul de dénivelé me paraissait démesuré à cette altitude mais la perspective d’éviter des nuits supplémentaires sur le parcours me séduisait. Je me suis décidé au dernier moment en faveur de cette dernière option. Nous savions tous qu’après le confort du camp de base, nous serions seuls face à la montagne.
Le choix de l’hypoxie
Plus on monte en altitude, plus la pression diminue, moins la fraction d'oxygène est disponible pour nos organismes et s'adapter à cette nouvelle contrainte est un véritable défi physiologique. Réussir à respirer normalement sans se mettre en danger est pour moi le seul moyen de parvenir au sommet. Monter sans oxygène est ainsi un choix réfléchi et assumé. Je pèse mes mots car il est parfois difficile de voir les autres grimper sans difficultés, voire vous dépasser… Il s’agit de deux mondes différents, voilà tout.
Sans oxygène, la trace dans la neige peut être plus éprouvante. Le sac doit être léger et ne comporter que des éléments de survie. Quand on grimpe sans oxygène, on s’expose davantage au risque de gelures. Dans la dernière partie de l’ascension, j’avais l’impression d’avoir été commuté sur un mode ralenti sans pouvoir en sortir, sans pouvoir accélérer, comme si un régulateur de vitesse était enclenché. Je ne ressentais pas de souffrance particulière, uniquement une grande lassitude physique. L’important est de toujours pouvoir s’interroger sur sa propre survie : suis-je encore capable d’aller plus haut ? Suis-je capable de sentir toutes mes extrémités et d’agiter les orteils des pieds quand je le décide ? Et serai-je capable de redescendre. Ce mode opératoire est celui que j’utilise en plongée profonde et il permet d’éprouver sa lucidité à tous les instants. Dans la montée finale, tous les clignotants étaient au vert et j’ai pu poursuivre dans un état de maîtrise de mes actes jusqu’au sommet. Peut-être ne me suis-je pas rendu compte que ma mémoire immédiate était déjà affectée par l’hypoxie, phénomène aggravé lors de mon séjour prolongé au sommet. J’ai toujours passé beaucoup de temps sur les sommets que j’ai pu atteindre, probablement pour le plaisir de bénéficier d’un espace privilégié, d’un moment magique et éphémère. Avoir conscience du fait qu’il est impossible de séjourner longtemps au sommet, çà c’est la théorie, mais aussi la réalité car les organismes se dégradent rapidement. C’est probablement le point sur lequel je dois encore progresser.
Le cerveau n’aime pas l’hypoxie et il n’est pas rare d’avoir des problèmes de mémoire, de synchronisation, voire d’hallucinations dans les cas les plus extrêmes. Pour ma part, je n’ai jamais eu à souffrir de ce genre de problèmes pendant la phase d’ascension, j’étais très concentré sur ma propre survie au-delà de 8000 mètres. Je dois pourtant avouer que je ne me souviens pas exactement de l’intégralité de mon séjour au sommet…il y a des passages « vides » de contenu. Je me souviens très bien de mon arrivée au sommet du Cho Oyu : « je distingue enfin la silhouette de l’Everest et du Lhotse puis je vois les innombrables offrandes disposées sur le sol, j’en déduis que suis bien au sommet ». Ici, n’y a pas de point culminant, seul un plateau sans dimension. Je passe ensuite 40 à 60 minutes seul à divaguer sur le plateau. Il ne fait pas très froid et je continue à rester au sommet. Je me souviens ensuite d’un énorme nuage noir qui se forme du côté de l’Everest… puis plus grand chose d’autre. Deux grimpeurs me rejoignent au sommet ; ils me demandent de les prendre en photo. Puis, ils partent…je reste…combien de temps ? Je ne sais pas, une demi-heure ? Une heure ? … Je ne pense pas à regarder la montre enfouie sous le manchon duvet de ma veste. C’est encore l’image de cet énorme nuage noir qui reviens dans mon esprit et je ne sais pas pour quelle raison précise je décide de descendre, à quel moment je prends cette décision, impossible de savoir… aucun souvenir jusqu’à la première descente raide sur corde fixe.
Plus bas, à 7200 m, je retrouve la tente et il fait encore jour. Je ne songe pas à descendre plus bas…peut-être était-ce parce que je n’avais pas envie de plier la tente et de descendre à la frontale… je ne sais plus. Je me retrouve dans la tente où tout est gelé ; je n’ai pas la force de faire chauffer de l’eau car il faut encore fabriquer des blocs de neige et de glace à l’aide du piolet. Du coup, pas de repas chaud non plus. Ça fait une vingtaine d’heures que je n’ai plus rien bu, rien mangé mais je n’en éprouve pas le besoin. Ma raison indique pourtant qu’il faut que je boive mais je choisis de me glisser dans le sac de couchage. Le vent souffle fort et je dors par épisodes sans cauchemars. Réveil matinal pour tenter de rejoindre le camp 1 le plus tôt possible. Le vent souffle en rafales au petit matin et je redoute le pliage de la tente. Mes doigts me font souffrir et je dois rentrer dans la tente à plusieurs reprises pour les réchauffer. Le tissu au sol est prisonnier de la glace et il me faudra plus d’une heure pour parvenir à la plier. Finalement, je ne partirai pas avant 8 heures. Le sac est lourd et je dois constamment rétablir mon équilibre dans les rappels sous le C2. Deux heures plus tard, je rejoins le C1 où je retrouve mon autre tente à moitié digérée par la glace. Impossible de l’extirper de sa gangue de glace sans devoir tout déchirer…je me rends rapidement à l’évidence que je dois l’abandonner et qu’il est préférable de la laisser en l’état pour un éventuel bivouac de fortune. Le sac est plein à craquer et plus rien ne rentre à l’intérieur. J’attache tout ce qui reste à l’extérieur. Au moment de le soulever, impossible de le hisser jusqu’aux épaules. Il faut d’abord le déposer sur un rocher puis m’accroupir pour pouvoir le porter. Le poids est sûrement proche de 40 kg. La descente durera cinq heures, au lieu de deux, pour atteindre le CBA et sera ponctuée de nombreux arrêts pour soulager la charge.
Monter, descendre, dormir, attendre, que choisir ?
Monter, descendre, remonter…un vrai casse-tête qui alimente tous les débats au camp de base avancé. Avec mon ami Domi Trastoy, nous avons comparé nos calendriers respectifs à peu près tous les jours. Au final, c’est toujours la météo qui a décidé pour nous et nous avons été contraints de revoir tous les jours le déroulement de l’ascension. Chacun y va de sa propre expérience et c’est un sujet de conversation récurrent. Ensuite, chacun procède à ses propres portages pour installer les camps, chacun à son rythme, nous faisons parfois le chemin ensemble. Au cours de mes ascensions précédentes, j’ai toujours privilégié la montée afin de limiter les aller-retours au camp de base et de limiter ainsi les pertes d’énergie. Ici, c’est un peu différent car le seul endroit où je peux convenablement me restaurer est le CBA. Il finit par me persuader de redescendre au CBA après chaque montée de matériel en altitude. Je vais suivre globalement ses conseils sauf pour le nombre minimum de deux nuits passées à chaque camp d’altitude. Nous aurons l’occasion de nous croiser sur le trajet et parfois de monter ensemble, notamment vers le camp 1 (C1). En effet, sans l’aide de sherpa, chacun d’entre nous doit acheminer son propre matériel en altitude. Pour moi, la question est simple, je n’ai que deux tentes et ferai donc deux camps d’altitude. Je souhaite absolument éviter de monter-démonter la tente, ce qui est toujours une épreuve à cause du vent violent.
Après les portages pour installer les deux camps C1 et C2, nous nous sommes tous retrouvés au camp de base à cause des mauvaises conditions météo. Le vent avoisine les 100km/h au sommet et les températures sont en chute libre. La neige tombe jusqu’au CBA et après plusieurs jours d’une attente interminable, nous n’avons plus le choix du créneau d’ascension. Chacun montera pour son propre compte mais nous décidons de partir le même jour. Avec Domi, nous décidons de monter directement au C2, c’est à dire d’effectuer 1600 m de dénivelé ! Je pense que c’est beaucoup trop mais je dois aussi tenir compte de la fenêtre très courte (2 jours) avant une nouvelle grosse chute de neige. Finalement, il s’agira d’une très grosse journée avec une arrivée tardive dans la soirée pour moi. Le lendemain, il n’y aura pas de choix possible, il faudra gravir 1000 mètres entre 7200 et 8200, c’est encore un gros dénivelé à cette altitude. Finalement, le vent empêchera toute tentative le jour initialement prévu pour atteindre le sommet, il faudra encore rester un jour et une nuit de plus à 7200 mètres. Une accalmie se produit dans la nuit du 13 mai et je décide de partir vers 2 heures du matin à la lueur de la frontale. J’arriverai seul au sommet vers 15h.
Protocole d'ascension
J’ai effectué plusieurs fois l’ascension du CBA au C1 (700m de dénivelé) afin d’installer la tente et de constituer un dépôt de nourriture. J’ai passé quatre nuits, au total, à 6400 mètres. Il y avait plusieurs emplacements pour installer la tente et j’ai choisi une position dominante avec une belle vue sur l’arête qui conduit au C2. J’ai ensuite effectué deux montées au C2 (2 + 2 nuits à 7200 m) avec 800 mètres de dénivelé. Le C2 est assez confortable mais reste exposé au vent et aux coulées de neige fraîche. C’est à partir de là que j’ai envisagé de gagner le sommet. Après les 2 dernières nuits passées à 7200 mètres j’ai enchaîné la montée au sommet (dénivelé : 1000 m).
Alimentation et santé
Le chapitre alimentation est un vaste sujet qui a contribué à « nourrir » nos discussions au CBA. Chacun présente son argumentaire plus ou moins fondé. Pour ma part, j’ai pu m’alimenter normalement au CBA mais je dois avouer que, plus haut en altitude, je n’ai jamais réussi à équilibrer mes apports et ma dépense énergétique ; j’ai ainsi perdu du poids. Les portions au CBA est globalement très riche en sucres lents, en protéines animales et végétales. Les repas, au nombre de 3 (+ goûter), étaient toujours copieux et équilibrés. La motivation de redescendre au CBA était, il est vrai, étroitement lié au plaisir de s’alimenter correctement. En altitude, j’avais emporté des soupes et des pâtes chinoises pour des raisons évidentes de légèreté. Je n’avais sélectionné aucun produit lyophilisé préparé à cause du manque de saveur de ces produits et du poids de l’emballage. Le petit déjeuner - le seul « vrai » repas - était constitué de céréales et fruits secs accompagné d’une boisson chaude (lait en poudre). Dans la journée, je ne mangeais quasiment pas (uniquement un mélange de coca-cola et d’eau) et quelques barres énergétiques (maximum 2 barres). On emporte généralement toujours trop de nourriture en altitude et je n’ai pas échappé à cette erreur d’appréciation. Je savais que l’appétit était très diminué en altitude mais cela ne m’a pas empêché de me chercher à me rassurer en emportant un surplus de nourriture. J’ai finalement consommé ¼ de ce que tout ce que j’ai emporté, autant de poids que j’ai dû porter au retour. Pour le reste, seul le thé chaud passait toujours bien et je devais toujours me forcer un peu pour cuisiner un bol de pâtes chinoises dans la soirée. Au-dessus de 7200, je n’avais pas suffisamment protégé les barres énergétiques et je n’ai jamais pu les consommer tant elles étaient figées par le froid. Dans la journée du sommet et la nuit qui a suivi, je n’ai pas réussi à manger car je n’avais pas faim.
Pour réduire le risque de gelure des extrémités, je n’ai jamais ingéré de quantité élevée de nourriture sur le parcours afin d’éviter le problème de vasoconstriction des vaisseaux sanguins des extrémités au profit de l’activité de digestion de l’estomac (ce qui conduit à un refroidissement des extrémités moins irriguées, et augmente ainsi le risque de gelure). J’ai donc privilégié l’absorption de liquides peu sucrés afin de maintenir la concentration de glucose dans le sang et j’ai beaucoup apprécié les bonbons au miel et à l’anis qui ont contribué à rendre les évènements plus doux...
Sur le volet santé, je n’ai pris aucun médicament préventif et/ou curatif pendant la durée de l’expédition et n’ai jamais eu de maux de tête. Je n’ai consommé aucun complément alimentaire. Les seuls effets négatifs ressentis pendant mon séjour en altitude ont été des difficultés d’endormissement (profond désir de dormir dans la matinée) un peu comme si j’étais victime d’un décalage horaire chronique permanent et des saignements de nez récurrents très inconfortables. Pour le reste, je me suis toujours senti en excellente forme.
Pour faire chauffer l’eau et cuisiner, j’ai longtemps hésité sur le choix du réchaud et j’ai finalement opté pour un MSR Reactor avec un mélange de gaz résistant aux basses températures (Isobutane 80% / Propane 20%). La rapidité de chauffe est un atout considérable et la corvée de la cuisine se limite à la recherche de neige et de glace. Ce réchaud est très efficace, il faut le savoir, et reste une pièce maîtresse de la réussite : sans réchaud fiable pour faire fondre de l’eau, pas de sommet.
Le Cho Oyu : un 8000 facile ?
J’ai toujours pensé que je partais faire l’ascension d’un sommet facile, sans difficultés, hormis l’altitude. Deux personnes m’ont fait douter : la première avait fait le sommet il y a une vingtaine d’années et m’a raconté les difficultés à franchir certains passages raides en glace, la seconde était un bon alpiniste en route vers l’Everest qui m’a rappelé qu’il n’y avait pas de 8000 facile – ce qui est vrai – mais on dit qu’il n’y pas de course facile. Elles avaient toutes deux avaient raison. Il y a un premier passage assez raide dans les séracs sous le C2, puis le passage d’une barre rocheuse (Yellow Band) dans la zone des 8000 qui est plutôt mixte rocher-neige. Les cordes fixes abandonnées en nombre facilitent l’ascension mais le franchissement du Yellow Band reste un passage clé dans la réussite du sommet. A noter que la plupart des cordes fixes sont prisonnières, totalement ou en partie, de la glace et de la neige et qu’il faut rééquiper chaque année, les passages les plus raides. Les sherpas des expéditions commerciales se chargent généralement de poser les cordes fixes sur la montagne ; elles peuvent demander une contrepartie financière aux grimpeurs qui les utilisent. La problématique de savoir qui va poser les cordes a été très débattue au CBA et nous avons proposé de participer à l’équipement afin de respecter notre calendrier de montée. Finalement, un groupe de sherpas d’une grosse expédition américaine a réglé le problème des cordes fixes en moins de 3 jours !
Le Cho Oyu n’est certainement pas une montagne facile, c’est un 8000 ! La difficulté varie bien sûr avec les conditions d’enneigement et météorologiques. Lors de mon ascension, le passage des séracs (vers 7000) était en glace et le Yellow Band était mixte avec une prédominance rocheuse. Le vent a soufflé très fort presque tous les jours. La difficulté principale demeure néanmoins centrée sur l’altitude et la raréfaction de l’oxygène.
Le choix de l'équipement
Le choix du matériel est toujours une opération délicate. Pour ma part, j’ai passé beaucoup de temps sur le sujet et je ne vais pas passer en revue ici tout la liste du matériel. La grande différence par rapport aux 7000, c’est l’ajout d’une combinaison en duvet pour l’ascension sommitale et des bottes d’alpinisme chaudes. Pour ma part, j’ai fait confiance à l’équipe de Montania pour l’achat d’une veste et d’un pantalon duvet séparé de chez Sir Joseph et je n’ai pas eu froid. La salopette monte bien sur les reins et la capuche de la veste est bien large autorisant le port du casque. Le de couchage plume Looping II du même fabricant m’a été recommandé par l’équipe de Montania ; je l’ai utilisé jusqu’à 7200 mètres sans jamais avoir froid. La température la plus basse ressentie, estimée à -35/-40°C, était sous le Yellow Band vers quatre heures du matin. Quelques grimpeurs avaient fait le choix de chaussettes « chauffantes » très performantes et je dois avouer ma méconnaissance de ce type de produit high teck. Le choix des gants est toujours un vrai challenge et j’ai finalement emporté 3 paires de moufles (RAB 8000 avec dragonnes) et une paire de gants et sous gants en laine. Je suis très sensible aux extrémités et c’est un facteur limitant dans ma progression en altitude. Ici, je n’ai pas eu froid et j’ai même pu quitter mes gants quelques secondes pour prendre des photos (à ne jamais faire !!!). Le moment le plus critique pour moi a été le pliage de la tente à 7200 mètres sur le chemin du retour. J’ai commencé à 6 heures du matin pour terminer à 8 h avec de nombreux retours sous tente pour me réchauffer les doigts… Les deux tentes que j’ai utilisées étaient des modèles North Face Mountain 24 très résistantes au vent et à la neige mais peu avantageuses en poids. J’ai donc accepté de porter davantage en considérant que c’était le seul refuge sur lequel je devais pouvoir compter à tout moment. Parmi les points négatifs, à noter la défaillance de la fermeture d'une veste gore tex pro de la marque Black Diamond immédiatement remplacée à mon retour par les soins du magasin Expé à Nice. J'ai regretté de ne pas pouvoir réparer la fermeture de la veste hors d'usage pendant toute la durée de l'expédition. Une autre défaillance, qui aurait pu avoir des conséquences plus graves, réside dans l'utilisation des crampons hybrides acier-alu de la marque Petzl réputés pour leur légèreté et qui semblent peu compatibles avec l'usage des bottes grand froid en Himalaya. J'ai, en effet, perdu le premier crampon dans un passage de sérac en neige durcie sous le camp 2 et le second en parcours d'arête facile dans de la neige fraîche. Malgré toutes les tentatives de serrage de la corde dynema, le système n'était pas fiable. J'ai eu la chance de pouvoir me faire prêter une paire de crampons de remplacement par un autre grimpeur pour continuer l'ascension. Je ne saurais trop conseiller l'usage d'un système classique de barre métallique de jonction pour ce genre d'ascension.
Pour ce qui concerne la sécurité durant une ascension en autonomie, j’ai particulièrement apprécié la petite balise SPOT qui permet d’envoyer, par simple pression, un message préenregistré aux personnes qui vous suivent. Là encore, victime des effets de l’hypoxie, j’ai oublié de la déclencher la balise au sommet de la montagne. Pour pouvoir communiquer avec les proches et obtenir les infos météo à l’ABC, j’ai eu recours à un téléphone satellite.
Que s’est-il passé au sommet ?
Plusieurs mois après l’ascension, je suis encore perturbé aujourd’hui de ne pas me souvenir du moment où j’ai décidé de descendre de la montagne. Je me souviens uniquement de ce nuage visible en direction de l’Everest et puis plus rien… Je suppose que ce nuage a été le déclencheur de ma descente mais je n’arrive pas à l’affirmer. Chacun sait que le cerveau et l’ensemble du système nerveux souffrent des conditions hypoxiques au-dessus de 8000 mètres. Le manque de lucidité est probablement le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs : raréfaction de l’oxygène, déshydratation, froid et fatigue. Je ne me suis pourtant jamais senti en danger et j’ai même éprouvé une sensation de bien être. En revanche, j’ai eu l’impression de revivre une sensation euphorisante ressentie en plongée profonde lorsque l’on respire de l’azote contenue dans l’air comprimé. J’ai pu ainsi perdre progressivement la notion du temps qui s’écoulait. Un certain nombre de signes était passé à l’orange sans que je puisse m’en apercevoir. Fort de cette nouvelle expérience en altitude, je suis prêt, aujourd’hui, à repartir pour une nouvelle aventure himalayenne. Aujourd’hui encore mes pensées vont vers Chin, un jeune alpiniste sud-coréen de 34 ans, mort sur les pentes du Cho Oyu avec qui, j’avais, nous avions, partagé des moments inoubliables.